Etat de siège: quel bilan deux ans après?

Mise en ligne le 6 mai, 23 à 14:30


En réponse aux manifestations populaires dénonçant la persistance de l’insécurité et des massacres des civils à l’Est de la République Démocratique du Congo, le chef de l’Etat Felix Tshisekedi a instauré le 06 mai 2021 l’état de siège dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri. Selon l’ordonnance de proclamation de l’état de siège, cette mesure avait pour objectif de neutraliser les groupes armés et sécuriser les populations civiles dans ces deux provinces de l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC).  A cet effet, les autorités civiles ont été remplacées par des officiers de l’armée et de la police nationale à la tête de deux provinces, de leurs territoires, de leurs villes et de leurs communes. Prévu initialement pour 30 jours à dater du 06 mai 2021, l’état de siège est depuis prorogé chaque 15 jours par le parlement sans qu’une réelle évaluation de son impact ne soit faite.

En tant qu’organisation qui milite depuis des années pour que les autorités Congolaises et les Nations-Unies mettent fin aux massacres des civils à l’Est du pays et y restaurent l’autorité de l’Etat, nous nous sommes réjouis de cette prise de conscience des autorités nationales de la gravité de la situation sécuritaire et de l’urgence d’endiguer les violences armées. Néanmoins, nous avions rappelé que l’instauration de l’état de siège était une solution inadéquate aux problèmes et défis précis relatifs au rétablissement de la paix et de la sécurité. Deux ans après la mise en place de l’état de siège, le bilan de cette mesure prouve que nos inquiétudes étaient bien fondées. Que ce soit sur le plan du rétablissement de la sécurité (A), de la gouvernance publique (B) ou du respect des droits de l’Homme et libertés fondamentales (C), les résultats de l’état de siège ne sont toujours pas au rendez-vous.

  1. Situation sécuritaire plus dégradée  

L’instauration de l’état de siège a suscité l’espoir d’une action militaire forte de l’armée Congolaise contre les différents groupes armés. Plusieurs groupes armés locaux se sont ainsi déclarés prêts à déposer les armes pour adhérer au schéma de la paix. Certains ont même déposé les armes et sont mis à la disposition des autorités pour un processus de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR). Cependant, faute de prise en charge et d’un processus DDR adéquat,  d’un programme de démobilisation, désarmement et réinsertion communautaire, différents groupes armés continuent à semer la terreur et la désolation.

L’Etat n’a pas été capable de contraindre les groupes récalcitrants à déposer les armes.  En effet, l’instauration de l’état de siège n’a donné lieu à des nouvelles opérations militaires de grande envergure sur terrain. Celles qui étaient en cours ont paradoxalement diminué. La nomination des officiers militaires à des fonctions politico-administratives a contribué à détourner l’armée de ses missions régaliennes de sécurisation du territoire congolais et de ses citoyens et à renforcer l’affairisme de certains de ses membres. Le manque de soutien logistique et financier conséquent de la part du gouvernement ainsi que le détournement des fonds alloués aux opérations militaires ont renforcé l’inefficacité de l’armée Congolaise qui ne fait qu’assister impuissamment à l’expansion des violences armés. .

Plutôt que réformer et donner des moyens aux forces armées Congolaises pour les rendre capables de défendre notre pays et son peuple, les autorités Congolaises les ont plutôt substituées par des forces armées étrangères, des mercenaires étrangers et des groupes armés locaux. L’armée nationale a ainsi été réduite à une simple force assistée plutôt que d’être renforcée, assainie et réformée.

En conséquence, les tueries se sont accrues. Alors que 2367 personnes avaient été tuées au cours de deux ans précédant l’état de siège, au moins 5458 Congolais ont été tués au Nord-Kivu et en Ituri entre le 06 mai 2021 et le 06 mai 2023 par différents acteurs armés selon le Baromètre Sécuritaire du Kivu. Ce bilan humain est l’illustration parfaite de l’incapacité de l’état de siège à assurer la protection des civils. Par ailleurs, aucun groupe armé n’a été neutralisé. Au contraire, d’autres groupes armés ont (re)surgi.. En plus des  ADF qui massacrent les populations civiles en Ituri et à Beni au Nord-Kivu, le Mouvement du 23 mars soutenu par le Rwanda a resurgi de ses cendres jusqu’à occuper plusieurs villages du territoire de Rutshuru et Masisi.

Par ailleurs,  L’insécurité urbaine a augmenté dans toutes les villes des provinces sous état de siège. Dans la ville de Goma, le phénomène « 40 voleurs » s’est accentué sous les yeux impuissants des forces de l’ordre et de sécurité, les tueries des paisibles citoyens devenues monnaie courante.

  1. Gouvernance publique en somnolence 

En mettant à la tête des institutions politiques et administratives des provinces des militaires et policiers peu formés à la gestion de la chose publique, l’état de siège a normalisé une gouvernance prédatrice au Nord-Kivu et en Ituri.  Au Nord-Kivu, ce qui est présenté fièrement par les autorités de l’état de siège comme une maximisation des recettes est en réalité une pression fiscale contraignant à la faillite les commerçants locaux déjà fortement impactées par l’insécurité.

Par ailleurs, les mobilisations fiscales vantées par les autorités de l’état de siège ne donnent pas lieu à des projets de développement sur terrain. Le fait que les activités des assemblées provinciales soient suspendues pendant l’état de siège et que les libertés publiques soient très largement surveillées compromet toute initiative de contrôle de la gouvernance des dirigeants militaires et accroît le risque sérieux de prédation des ressources publiques.

Il s’observe une tendance dangereuse d’enrichissement des nouvelles autorités aux dépens de l’Etat et sur le dos des paisibles citoyens dont le pouvoir économique a été largement affaibli par des années de conflit. Dans les villes de Goma, Butembo et Beni, les actes de spoliation des espaces publics par les autorités de l’état de siège sont couramment signalés. Rien qu’à Goma, notre mouvement a identifié 27 terrains publics menacés de spoliation. Une commission Ad hoc pour faire l’état de lieu de la spoliation de certaines parcelles de l’Etat en ville de Goma a même été mise en place le 02 mai 2023 pour faire la lumière sur cette prédation continue.

  1. Violation des droits humains et restriction de l’espace civique 

Sur le plan des droits de l’Homme, il s’observe une hausse inquiétante des violations des droits de l’Homme depuis l’instauration de l’état de siège. En plus des groupes armés qui commettent des abus de toute sorte contre les populations civiles, des responsables Étatiques usent de leur pouvoir désormais sans limites sous état de sièges pour porter atteintes aux droits fondamentaux. Les membres des services de sécurité n’hésitent pas d’arrêter, de torturer, et d’imposer des frais illégaux aux citoyens pour des faits non infractionnels. Les tribunaux militaires, désormais habilités à juger les civils, sont très peu nombreux, sans moyens et personnel suffisants et ne présentent pas suffisamment de garanties d’une justice équitable, indépendante, rapide et impartiale. Les détentions préventives prolongées sont ainsi devenues la norme en raison des capacités opérationnelles très limitées de la justice militaire.

La répression des activités citoyennes s’est également fortement accrue pendant l’état de siège. Les libertés publiques sont carrément mises en veilleuse et toutes les voix discordantes sont vigoureusement réprimées par un puissant arsenal militaire visiblement préparé à taire toute protestation contre la persistance de l’insécurité plutôt que de taire l’insécurité elle-même. Notre mouvement a payé le prix le plus lourd. A Beni, Mumbere Ushindi a été tué par la police le 24 janvier 2022 et notre militant La Fontaine Katsaruhande a été amputé de sa jambe après que la police lui a tiré dessus lors d’une manifestation pacifique le 10 septembre 2021. A Goma, nos camarades Mwamisyo Ndungo King et Elias Rwaramba Bizimungu sont toujours en détention à la prison centrale pour avoir dénoncé la persistance de l’insécurité en dépit de l’état de siège. Alors qu’ils jouissent de leurs droits et libertés fondamentaux, certains députés provinciaux ont été contraints à la clandestinité ou  détenus   en raison de leurs opinions critiques à l’égard de l’état de siège.

Du fait du manque d’une évaluation sans complaisance des facteurs des conflits armées, l’échec de l’Etat de siège était prévisible malgré la bonne foi des populations et des organisations comme la nôtre qui se sont résignées à l’accepter. Il faut maintenant tirer les leçons des limites majeures de l’état de siège comme stratégie de pacification et envisager des alternatives crédibles.

Ainsi, la LUCHA appelle les autorités Congolaises à lever l’état de siège afin de faire ce qui aurait dû être fait il y a deux ans : une évaluation transparente, sans complaisance et avec la participation des populations affectées, afin d’identifier les vrais remèdes aux tueries, à l’insécurité et aux violences armées à l’Est de la RDC et les appliquer. À défaut ou en attendant une levée totale de l’état de siège, nous appelons à :

  • Démilitariser complètement les administrations publiques (perception des impôts et taxes, gestion financière des provinces et des entités locales/décentralisées, questions économiques, sociales et culturelles…) pour permettre à l’armée de concentrer ses efforts spécifiquement sur les opérations militaires et non sur des questions de gouvernance locale ;
  • Identifier et écarter des opérations militaires en cours et de la chaîne de commandement de l’armée, de la police et des services de renseignements les officiers et militaires soupçonnés de violations graves de droits humains, des collisions avec les groupes armés ou de trafics divers et les mettre à la disposition de la justice ;
  • Soutenir financièrement et sur le plan logistique les opérations militaires fortes en dotant l’armée d’une logistique de guerre conséquente, d’une solde digne et payée à temps, de la ration alimentaire suffisante, des soins médicaux complets, des camps militaires mieux équipés, etc. ;
  • Réformer, renforcer et assainir les FARDC (vetting du commandement, moyens logistiques, améliorer les soldes et les conditions sociales des militaires et leurs familles, renforcer la discipline, …),
  • Mettre en œuvre de toute urgence le Programme de désarmement, démobilisation, réinsertion communautaire et stabilisation (PDDRC-S) afin de donner une porte de sortie sûre aux combattants qui déposent les armes. Pour ce fait, l’ex M23 Tommy Tambwe doit être remplacé à la tête de ce programme par des animateurs crédibles.
  • Saisir sans délai les Nations Unies pour demander la création d’un tribunal pénal spécial pour la RDC ou d’un mécanisme internationalisé équivalent devant juger les principaux auteurs Congolais et étrangers des crimes graves commis en RDC depuis 1990, y compris ceux documentés par le rapport Mapping.
  • Mettre en œuvre un programme d’allégement fiscal et de relèvement économique dans les zones en conflit à l’Est de la République Démocratique du Congo,
  • Répondre aux exigences de la classe politique et de la société civile quant à la régularité, la transparence, la crédibilité et l’inclusivité du processus électoral en cours, afin de mettre fin aux crises récurrentes de légitimité qui ont des conséquences graves sur notre sécurité et notre souveraineté.

Fait à Goma, le 06 Mai 2023

Pour la LUCHA

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