Mémorandum adressé au Secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres à l’occasion de sa visite en République démocratique du Congo

Mise en ligne le 2 septembre, 19 à 20:39


Tout d’abord, nous tenons à remercier les responsables de la MONUSCO d’avoir bien voulu nous associer à cet échange avec vous, aux côtés de nos collègues de la société civile. Merci également pour votre visite, qui vous a amené d’abord loin des bureaux feutrés de Kinshasa, pour vous rendre compte un tant soit peu des conditions difficiles dans lesquelles notre peuple se trouve, notamment dans la région de Beni. La présente note s’articule autour de trois points, qui sont aussi les trois objectifs annoncés de votre visite : la lutte contre EBOLA, la protection des civils, et la consolidation de la paix.

  1. Sur la question d’EBOLA : Tout en reconnaissant les efforts de la communauté internationale, en soutien aux remarquables « héros de la santé » Congolais et internationaux, nous fustigions le manque de considération pour beaucoup des préoccupations légitimes des communautés locales ; manque de considération qui est en partie responsable de la méfiance, voire de la résistance qui est observée. Alors que l’épidémie est entrée dans sa deuxième année et semble s’étendre sur d’autres régions, il est impératif d’adresser les préoccupations des communautés qui peuvent se résumer à six : a) Prêter autant d’attention et mobiliser autant de moyens que possible pour arrêter les massacres de civils qui durent plus de cinq ans dans la région de Beni, dans une relative indifférence. b) Au niveau des agences de l’ONU, du ministère de la santé, des ONGs et d’autres services intervenants, privilégier autant que possible la main d’œuvre et les fournisseurs locaux, et leur accorder un traitement et une considération non-différenciés par rapport aux staffs nationaux et internationaux de même catégorie. c) Respecter autant que possible les us et coutumes locales, la dignité et les droits des personnes et des communautés, y compris en rapport avec le consentement informé préalable aux essais de vaccins et de médicaments ; d) Renforcer la transparence, la redevabilité et l’équité de tous les intervenants vis-à-vis des communautés locales, y compris sur les questions financières et celles liés aux vaccins et médicaments utilisés ; e) Renforcer la sécurité des équipes de riposte sans pour autant « militariser » la riposte ou en donner l’impression ; f) Faire en sorte que le renforcement des structures de santé consécutive à l’épidémie d’Ebola soit pérenne, éviter de créer un système de réponse parallèle au système de santé existant, et prendre en charge, dans les zones concernées, les autres maladies endémiques y compris la malaria, la rougeole, le choléra, et d’autres.

  1. Sur la protection des civils et la consolidation de la paix : De Beni au Kasaï en passant par Lubero, Rutshuru, Djugu, Minembwe, Fizi, Manono et ailleurs, la MONUSCO a lamentablement failli à sa principale mission qui est d’assurer la protection effective des civils. L’excuse consistant à dire que cette mission incombe avant tout aux autorités congolaises est absurde car si la MONUSCO est en RDC depuis 20 ans, c’est précisément parce que les autorités congolaises sont incapables d’assurer elles-mêmes la protection de la population, quand elles n’en sont les principaux bourreaux ! D’ailleurs, les résolutions du Conseil de sécurité depuis 2013 sont constantes : la MONUSCO et sa Brigade d’Intervention interviennent seules OU conjointement avec les forces armées congolaises. La mission de la neutralisation des groupes armés est aussi un échec net.

Alors que le retrait de la MONUSCO est de plus en plus évoqué – à juste titre – nous formulons à votre endroit les propositions suivantes au chapitre de la sécurité et de la stabilité :

  1. Remettre urgemment en action la Brigade d’Intervention pour neutraliser effectivement les groupes armés, conjointement ou non avec l’armée congolaise, en commençant par ceux responsables des massacres dans la région de Beni. Dans cette région en particulier, la FIB devra opérer conjointement avec les FARDC qui sont en pleine réorganisation. Il faut une synergie similaire à celle qui avait permis de défaire le M23 en 2013 !

  2. Veiller à ce que le leadership civil et militaire de la MONUSCO soit à la hauteur des enjeux, avec des personnes qui se préoccupent davantage de l’effectivité du mandat conféré par le Conseil de Sécurité que de soigner leurs relations. Des personnes qui n’hésitent pas à taper du poing sur la table quand il le faut pour avoir les choses faites.

  3. Combattre plus courageusement l’impunité en RDC, en publiant les annexes confidentielles du « Congo Mapping Rapport » qui totalisera bientôt 10 ans, en mettant en place un projet d’enquête similaire pour couvrir la période de 2003 à 2019, en poussant plus fermement pour la mise en place rapide des Chambres mixtes ou d’un tribunal spécial pour le Congo, en cessant la léthargie du Secrétariat général sur des affaires graves comme l’assassinat de deux experts de l’ONU au Kasaï en 2017, et en mettant réellement fin à la collaboration voire au simple affichage entre des responsables onusiens et des officiers ou des personnalités civiles Congolaises soupçonnés de crimes internationaux, d’abus des droits humains ou de corruption.

  4. Appuyer techniquement et financièrement la réforme de l’armée et la mise en place d’un programme DDRRR holistique et effectif, ainsi que la coordination des appuis bilatéraux et internationaux dans ce domaine.

  5. Mettre ou maintenir la pression sur les Etats de la région pour qu’ils arrêtent d’interférer directement ou indirectement dans la sécurité de la RDC ou de soutenir les groupes armés et les réseaux de trafic d’armes et des ressources naturelles qui déstabilisent la RDC tout en opérant librement depuis ou à travers leurs territoires.

  6. Faire le bilan des années d’embargo sur les armes à destination de la RDC afin de tirer les leçons nécessaires pour son effectivité.

  7. Au moment du retrait de la MONUSCO, mettre toutes ses archives et, dans la mesure du possible, ses installations et équipements encore en bon état à la disposition de la RDC. De même, continuer à assurer le fonctionnement et le caractère indépendant de la Radio Okapi sur l’ensemble du territoire national, et maintenir la présence du Haut-Commissariat aux droits de l’homme.

  8. Enfin et surtout, pousser pour et soutenir les réformes constitutionnelle, législatives et institutionnelles indispensables pour éviter la répétition du gâchis politique et électoral de 2015-2018 dont la RDC peine encore à se remettre. Concrètement, des réformes devant permettre un processus électoral régulier (dans les délais requis), paisible, transparent, inclusif, crédible, dont les résultats reflètent la volonté souveraine du peuple Congolais et dont d’éventuelles contestations puissent se régler dans un climat de confiance et de vérité. Ceci est absolument indispensable pour la légitimité et la stabilité des institutions du pays, et donc aussi pour le succès des initiatives de paix, de sécurité et de développement.

En conclusion, nous sommes encouragés par vos déclarations reconnaissant la nécessité et l’urgence de revoir la stratégie et l’action des Nations-Unies en RDC. Nous espérons que cette séance n’aura pas été une simple formalité diplomatique, mais que vous utiliserez ce que vous avez vu et entendu pour impulser des décisions et des actions décisives au niveau du Secrétariat général comme au niveau du Conseil de sécurité. Nous attendons impatiemment les résultats concrets sur le terrain.

Je vous remercie.

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Fait à Kinshasa, le 2 septembre 2019

Pour la LUCHA,                                                          Pour le Compte à Rebours

Eunice Etaka Eyaki                                                          Chris Shematsi

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