Ils avaient des rêves

Mise en ligne le 3 septembre, 25 à 09:59


Derrière les chiffres qu’on voit sur les médias ,3000 morts à Goma, 21 civils tués ici, 12 jeunes disparus là, il y a des gens. Des visages. Des amis. Des frères. Des rêves. 

Depuis que les rebelles du M23 ont pris plusieurs entités à l’est de mon pays, chaque jour nous enterre dans un nouveau silence. L’Est du Congo est raconté en chiffres. Mais ici, on connaît les prénoms. On entend les pleurs. Ce que je raconte, je l’ai vu. Je l’ai vécu. Ce texte n’est pas un article. C’est une mémoire. Et un appel à la justice. 

Idengo ; chanter ou mourir 

Idengo était un ami. Je l’avais rencontré en prison. C’était un musicien engagé. Sa famille avait été massacrée à Beni par les ADF. Depuis, il portait ce deuil dans ses chansons. Il chantait la douleur, la colère, la dignité. 

Un jour à la prison de Munzenze, alors que nous étions arrêtés pour avoir dénoncé les injustices avec mes camarades de la LUCHA, il est sorti de sa cellule avec sa guitare. Il nous a joué une chanson qu’il appelait “Gouvernement des fous”. Il avait cette phrase en swahili qui résonnait fort : 

« Musi chunge kitu kutoka Kinshasa kama hamu gombaniye haki zenu »
(« N’attendez rien de Kinshasa si vous ne vous battez pas pour vos droits. ») 

Il avait survécu à l’incendie de la prison lors de l’entrée du M23. Après sa sortie de la prison en janvier, il s’était réfugié chez sa sœur. Le 13 février, alors que la ville était déjà sous contrôle, les rebelles sont venus. Ils l’ont tué dans la cour. Puis ils l’ont fait passer pour un militaire, en lui mettant une tenue de combat. Mais tout le monde savait. Idengo n’avait jamais porté d’arme. Il portait des mots. Son seul mal c’est d’avoir chanter l’espoir d’un Congo Nouveau. Ça lui a couté la vie. 

Daniel ; Ne porte plus ces livres 

Daniel avait 23 ans. Un garçon discret, mais courageux. Il étudiait le jour, portait des briques comme aide-maçon l’après-midi, vendait des crédits la nuit. Il voulait devenir ingénieur. Il rêvait d’un avenir où sa mère et sa sœur n’auraient plus à se battre pour survivre. 

Le vendredi 21 février, on était ensemble. Il disait qu’il voulait quitter le quartier et aller chez sa tante vue qu’il y avait trop de militaires des M23 qui circulaient de plus en plus dans les rues. Il attendait le lundi. 

Mais le samedi, vers 16h, alors qu’il vendait ses crédits dans la rue de devant sa maison dans le quartier Kasika, trois jeeps du M23 sont arrivées. Pris par la peur, il a levé les mains. Il a montré son sac, son téléphone, ses cartes. Il répétait qu’il était civil. Ils ont tiré. Il est tombé avec un autre ami qui était avec lui où il vendait les crédits. Pourquoi est ce que je n’étais pas emporté avec eux ce soir là ?. Peut-être pour que je puisse aujourd’hui écrire son nom. 

Freddy ; réparer sa maison, c’était croire encore 

Freddy avait 32 ans. Il était chanteur, lui aussi. Il prêtait sa voix aux blessures du Congo. Mais la musique ne suffisait pas pour vivre. Il conduisait un taxi. 

Ce samedi 22 février, il ne travaillait pas. Il réparait sa maison à Kasika. Sa femme et leur enfant devaient venir s’y installer. Il voulait que les choses changent. 

Vers 17h, dans le même quartier Kasika, les rebelles étaient au quartier dans un bouclage. Freddy était avec son beau-frère et sa belle-sœur. Ils avaient déjà verrouillé la porte car les crépitements aux alentours ne cessait pas et par téléphone, Freddy avait déjà appris que les jeunes étaient entrain d’être tués dans des avenues autour. Les rebelles du M23 ont forcé l’entrée et ont fait sortir Freddy et son beau-frère. Freddy a voulu parler. Ils ont tiré. Lui et son beau-frère sont morts sur place. Sa belle-sœur, tuée peu après. 

Quand sa famille est arrivée, Freddy respirait encore. Son frère a supplié de l’emmener à l’hôpital. Les rebelles ont tiré à ses pieds. Ils ont forcé sa famille à regarder. Freddy est mort là, à la vue de ceux qui l’aimaient. Et les funérailles étaient dispercées pour faire disparaitre de trace et tout Goma étaient dans une détresse totale. 

Denis ; un prof sur le chemin du retour 

Denis avait 45 ans. Tout le monde l’appelait « Papa Denis ». Il était instituteur. Chaque matin, il emmenait ses enfants et ceux de sa sœur à l’école. Il croyait à l’éducation, même en temps de guerre. 

Ce 22 février, il revenait de l’école. Il avait salué sa sœur sur le chemin. Ils s’étaient promis de se voir le soir. 

Mais un peu avant d’arriver chez lui, des tirs ont éclaté. Il s’est caché dans une petite boutique avec d’autres civils. Les rebelles du M23 sont venus, ont ouvert de force et ont tiré. Huit morts. Denis en faisait partie. 

Le lendemain, sa sœur l’a retrouvé. Sa carte d’identité était tombée au sol. Denis aurait dû être en salle de classe. Pas au milieu des cadavres. 

Le dimanche noir 

Le 23 février, tôt le matin, les jeunes du quartier Kasika se retrouvaient au stade des Scouts. Certains pour faire du sport. D’autres partaient au travail communement appelé Kibomamngo dans un garage juste d’à coté. Les rebelles ont encerclé la zone.

Une vingtaine de jeunes ont été arrêtés. On les a fait monter dans des jeeps. Ceux qui ont tenté de fuir ont été abattus. Trois corps sont restés longtemps au sol. 

Des vidéos ont circulé. On y voit clairement : ces jeunes n’étaient pas armés. Ils portaient des sacs, pas des fusils. Depuis, plus aucune nouvelle. Les familles ne savent rien. Pas un mot des autorités. 

Emille ; deux balles pour un excès de respect 

Emille avait 28 ans. Il était chauffeur de taxi à Goma. Père d’un jeune garçon. Le 7 juin, vers 5h, il était parti pour une course. En chemin, une jeep percute son véhicule. Il descend pour discuter et soudain se rend compte que c’est le M23. Il s’excuse. Il ne savait pas que c’était une patrouille du M23. 

Ils ne lui ont pas répondu. Ils ont sorti leurs armes et lui ont tiré deux balles dans la poitrine. Il est mort là. Son corps a été retrouvé près de l’Entrée Président. Il voulait juste nourrir son fils. 

Pierre ; debout jusqu’au bout 

Pierre, je ne le connaissais pas directement. Mais il faisait partie de la LUCHA. Le 12 février, dans le territoire de Kalehe, les rebelles l’ont arrêté avec quatre jeunes du Conseil Local de la Jeunesse. 

Ils les ont forcés à transporter leurs blessés. Puis ils les ont tués. Un à un. 

Pierre était étudiant. Il avait rejoint la LUCHA en 2016. Il rêvait d’un Congo libre. Son rêve s’est arrêté dans une forêt, sous les balles. 

Ils avaient des rêves 

Ce que je raconte ici, ce n’est pas du passé. C’est ce que nous vivons encore. Ce que nous risquons chaque jour. Le silence autour de nos morts est un crime de plus. 

Parce qu’ici, les tueurs ont des armes, mais ceux qui les couvrent ont des costumes. À Kinshasa, certains ont fermé les yeux. D’autres ont participé. Et beaucoup ont été récompensés. 

Mais nous, les jeunes, on refuse ce système. On ne veut plus que la violence soit une carrière. On veut la justice. Pas demain. Aujourd’hui. 

Parce qu’ils avaient des rêves.
Et nous, on reste là. Pour les porter. Pour dire : plus jamais ça. 

Jubilé Kasay


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